Kojima Airi ♡ i'll smile even if it hurts

« Maman, arrête d’écouter des trucs de vieux !! »

Cette phrase, Airi la disait si souvent à son âge, probablement pour la même chanson. Take on me de Aha, avait ce son nostalgique à ses oreilles, lui rappelait une période où tout était tellement plus facile. Ses parents adoraient la musique, passionné par les Etats-Unis des années 70 et 80, ils s’imaginaient partir en road trip sur la route 66, devenir riches à Vegas et s’y marier une seconde fois, pique-niquer à Central Park… Ils en parlaient souvent et Airi se disait qu’un jour, elle pourrait peut-être leur payer ça. Ses parents étaient d’éternels optimistes, ils avaient transmis ça à leur fille durant une bonne partie de leur vie. Et à leurs autres enfants. Ils étaient six en tout ! Airi était perdu dans la masse, quatrième née. Rien de bien équilibré, elles n’étaient que deux filles, sa sœur avait deux ans de plus qu’elle, c’était la troisième. En réalité, si ses parents prônaient l’amour en premier lieu de cette sur-reproduction, c’était surtout par manque d’utilisation de contraceptif. Génération libérée, voire un peu trop, ils s’étaient rencontrés au lycée et faisaient partie d’une petite bande jugeant les contraceptifs mauvais pour la santé.

Situé aux quinzième étages d’un appartement de banlieue mal fréquenté d'Osaka, ils se serraient comme ils pouvaient là-dedans, trois par chambre, le petit dernier dormait avec les filles. Il était un peu efféminé, selon sa mère, il pouvait bien dormir là. Ses parents se vantaient souvent d’augmenter la natalité du Japon à eux tout seul. Airi se disait que ce n’était pas forcément la meilleure idée à avoir. Six, c’était beaucoup trop. Le premier était né alors que la mère n’avait que seize ans. Pas le moindre regret, selon elle. Elle ne travaillait pas, c’était beaucoup de travail, six enfants ! Leur père était cuisinier dans un ramen shop du coin de la rue, il partait tôt, rentrait tard. Au fond, personne ne se plaignait vraiment du manque d’argent. Sa sœur et elle trouvaient toujours des astuces pour contrer ce qu’elles n’avaient pas. Customiser elles-mêmes leurs affaires, par exemple, jouer aux apprentis-chimistes pour concevoir du maquillage. Sortir avec des vieux pervers au collège pour s’acheter des choses. Elles n’avaient jamais réalisé le danger jusqu’à ce que la police vienne les chercher. Leur mère avait trouvé les messages sur l’ordinateur que les filles se partageaient. Qu’elles avaient, disaient-elles, acheter en aidant des personnes âgées. C’était la première fois qu’elle voyait sa mère en colère, et Airi réalisait désormais que ce n’était rien comparé à la seconde fois.

Petite comme elle était et sous son allure un peu chétive, on la prenait souvent pour cible dans son quartier, mais ses frères prenaient toujours soin de défendre leurs sœurs. Le petit gang Kojima avait sa réputation et rapidement, elle sut s’imposer face à ces pauvres petites racailles. Elle avait du caractère, savait se faire entendre, et petit à petit, même à se faire respecter. Elle n’avait peur de rien, ni de personne, elle l’affirmait haut et fort dans sa classe, dans sa rue, et même à la maison. Elle essayait de s’imposer comme le petit chef, ce qui amusait tout le monde, surtout sa sœur. Mika était bien plus calme qu’elle, plus douce, plus intelligente, aussi. Tellement intelligente qu’elle le lui avait dit, de ne pas sortir avec lui. Un garçon du quartier, le plus beau de tous ! Airi n’en était pas vraiment amoureuse, mais à seize ans, on voulait aussi rendre ses copines jalouses en annonçant fièrement que l’on avait un petit-ami. Ryuhei était grand, drôle, un peu idiot mais ça, ce n’était pas un problème, elle le rendrait intelligent.

Et au final, c’était lui qui l’avait rendu elle, stupide. Ses mains tremblaient en tenant ce test de grossesse. Mika le regardait à côté d’elle, la bouche ouverte à ne plus savoir quoi dire. Dix-sept ans, c’était si jeune ! Mais sa mère avait si souvent répété combien c’était merveilleux d’avoir un enfant jeune. Elle ne pouvait pas se tromper. Et pourtant. Les hurlements de sa mère lui avait prouvé tout le contraire. Elle allait gâcher sa vie comme elle avait gâché la sienne, elle allait finir malheureuse, pauvre, sans but, sans rien. Les mots lui glacèrent le sang, Airi était incapable de savoir quoi lui dire, quoi répondre. Mika criait plus fort encore, révolté par les mots de sa mère. Le soir même, elles avaient fait leurs valises et quittaient l’appartement pour un hôtel. Elle avait prévenu Ryuhei, lui avait dit qu’elle voulait peut-être avorté, mais il s’y opposa formellement. Ils allaient se marier ! Et ils auront une vie merveilleuse, il lui promettait. Il avait l’air sincère et elle le croyait. Elle croyait en cette vie. Mika les aidait, les parents de son petit-ami aussi.

C’était une petite fille. Mika était là, Ryuhei aussi. Elle était merveilleusement belle. Le plus joli bébé du monde et aussi jeune qu’elle était, elle se jurait de lui donner la plus belle vie qui soit. Les deux parents étaient d’accord sur le prénom, comme une évidence pour l’ange qui veillait toujours sur eux. Elle allait porter le joli prénom de Mikako. Ryuhei avait trouvé un travail, il pouvait payer un petit appartement pour eux deux et Mikako, qui était gâtée principalement par sa tante. Mika faisait de brillantes études et elle avait un bon job. Airi ne saisissait pas vraiment quoi mais ça n’avait pas d’importance… Elle savait qu’elle aurait dû s’en soucier, qu’elle aurait dû y réfléchir. Quand un an plus tard, le corps de sa sœur sans vie fut retrouvé dans le métro, elle se maudissait de n’avoir pensé qu’à elle, d’avoir été égoïste, d’avoir tout pris sans rien donner. Elle était hôtesse, voilà comment elle gagnait son argent. Et elle avait été tué par un client à qui elle avait refusé des avances trop poussées. Tellement clichée que cela lui donnait envie de vomir.

C’était cet évènement qui la poussa à entrer dans la police. Elle voulait devenir inspecteur, éviter à l’avenir que des choses pareilles se produisent. Elle voulait œuvrer pour sa sœur, en son nom. Ryuhei était contre qu’elle reprenne ses études, contre qu’elle ne soit pas à sa totale disposition. Petit à petit, il montrait un autre visage, manipulateur, pervers, violent, mauvais. Quand il pouvait pourtant être si doux, gentil et attentionné ! Elle avait peur de lui sans se l’avouer, refusant la vérité. Mikako grandissait, elle faisait de son mieux pour lier ses études et son travail avec sa famille. Il voulait absolument un autre enfant, pour lui faire plaisir, elle faisait semblant d’essayer, prenant sa pilule au travail pour qu’il ne le remarque pas, cette dernière dissimulée dans son casier. Elle n’en voulait plus, pas avec lui. Elle cherchait à s’en défaire, à l’éloigner, sans trouver le courage, sans y parvenir. Pour sa fille. Elle avait besoin de ses deux parents, à bientôt huit ans. Oui, pour elle. Toujours tout pour elle. Inspecteur depuis peu, elle savait qu’elle pouvait lui offrir une vie plus décente, la couvrir de cadeau, alors elle comptait s’impliquer toujours plus, sans réaliser qu’elle fuyait sa propre réalité.