min ho ✝ j'ai pas besoin de me donner bonne conscience, j'en ai pas.

Mes souvenirs d'eux sont flous, et pour être honnête, je me donne du mal pour que ce soit comme ça. Je veux pas me souvenir de l'odeur de vanille de maman, de son sourire, du petit éléphant doré autour de son cou. Je veux pas me souvenir du menton qui pique de papa, de sa manie de claquer sa langue contre son palais quand quelqu'un l'énerve ou de ses doigts longs et fins, utile pour me jouer des morceaux de piano. Je veux pas me souvenir de l'odeur d'orange qui embaumait la maison lorsque maman faisait mon gâteau préféré, des rayons de soleil caressant ma peau d'albâtre à travers les rideaux en bambous, des bisous de maman sur mon front ou même de mon vélo bleu tout neuf. Je veux pas me souvenir de la naissance de ma petite soeur et de mon petit frère, de la fierté que j'ai ressenti quand j'ai pu le prendre dans mes bras, le petit dernier, le petit bébé de la famille. Je me souviens encore du jour où on l'a ramené à la maison, minuscule petit être dont j'avais la responsabilité, je me souviens d'avoir déposé un baiser timide sur son front, de l'avoir regardé dans les yeux et de m'être promis de le protéger. Puis j'avais posé les yeux sur les longs cheveux bruns de ma soeur et je m'étais dit que quoi qu'il arrive, il faudrait toujours que je les protège. Cette promesse m'aura hanté pendant des années avant que je ne puisse l'oublier aussi, comme le reste.
Un an après la naissance d'Armin, nos parents se tuaient dans un tragique accident de voiture, alors qu'il étaient en route pour un week-end en amoureux et nous avaient laissés chez des amis. A partir de là, tout est allé très vite sans que je ne comprenne très bien ce qu'il nous arrivait. Des gens sont venus nous chercher et nous ont emmenés dans ce qu'ils ont appelé notre "nouvelle maison" et que j'ai aussitôt rebaptisé l'empire du noir. Le genre d'endroit avec des croix partout, des nonnes et beaucoup trop de gosses pour qu'elles puissent tout contrôler. Quand je suis arrivé là-bas, j'avais encore des larmes qui roulaient sur mes joues, j'ai vite appris à les retenir. J'ai compris que pleurer ça servait à rien à part à pousser les grands à m'emmerder.
- Ya, le nouveau, encore à chialer comme un bébé ? Tu devrais aller rejoindre ton frère dans l'aile des tout petits, j'suis sûr qu'y a un berceau à ton n...
Une main claqua contre l'arrière de sa tête, et une fille chargée d'un bébé d'un an émergea de derrière le grand dadet.
- Laisse le tranquille et va voir ailleurs si on y est, Sato.
Mes yeux s'écarquillèrent lorsque je vis le garçon s'éloigner sans broncher et j'accordais un regard intéressé à la fille aux longues tresses. Ses yeux brillaient si fort que je ne pouvais détacher mon regard du sien. J'essuyais rapidement mes larmes et la vis me sourire. Le monde tourna et mon coeur se mit à battre un peu plus fort.
- Tu devrais pas te laisser faire par les grands, ils sont pas si méchant au fond, il faut juste savoir leur dire non. Je m'appelle Suji Ikuko. Et toi ?
- Moi ?
Je cligne des yeux plusieurs fois, hébété par la splendeur de cette fille. Ikuko. Je finis par réaliser qu'elle attend ma réponse et m'incline promptement.
- Tanaka Min Ho. Merci de m'avoir aidé.

Quelques mots échangés et c'était le début de la plus grande amitié que j'ai jamais connu. Je m'endurcit vite à l'orphelinat, en quelques semaines, personne n'ose plus m'embêter, encore moins mon petit frère et ma petite soeur, parce que tout le monde l'a compris, ils sont plus importants pour moi que ma propre vie. Ikuko, ça a été ma compagne de tous les jours, je la voyait sourire à ma soeur, lui laver les mains, je la voyais remettre ses cheveux derrières sont oreille, j'entendais son rire si communicatif, je la suivais comme son ombre, je ne pouvais pas me passer d'elle, elle était le rayon de soleil qui m'était nécessaire pour continuer à me lever le matin et éviter de penser à ma famille déchirée. Il n'y avait qu'à elle que je parlais de mes parents, je lui racontais comment ils étaient, je lui offrais mes souvenirs quand elle en avait besoin. Je me souviens des heures qu'on passait, assis sur les marches ou sur un muret, des heures où je la serrais contre moi pour lui raconter comme ma mère était belle et mon père doué au piano. Elle pleurait parfois, et je savais qu'elle était triste de ne pas avoir de parents.
Et puis, il y eut ce jour où on est tous allés à la plage en bus, on s'est baignés, on a mangé des algues et ramassé autant de coquillage qu'on pouvait en porter. Puis le soir on s'est retrouvés sur notre muret  en cachette et elle m'a montré comment faire un collier avec un coquillage que j'aimais bien. Et voilà. Elle me sourit en me tendant le collier qu'elle vient de faire pour moi. Je le prend sans la quitter des yeux. Tourne toi. Je lui fais, et puis je lui passe le collier autour du cou. Elle regarde le collier avec un sourire et je la prend par le bras pour qu'elle me regarde. Un jour, je t'emmènerait, loin de l'orphelinat, je te construirait une maison à la plage et je me marierais avec toi. Ma voix tremble, je suis sérieux, on ne peut plus sérieux, je vois déjà notre vie à deux, elle me faisant des colliers de coquillage et moi qui m'occuperait de mon frère et ma soeur. On s'est séparés sans un mot de plus ce soir là, mais le lendemain matin, elle avait déposé un autre collier, orné d'un coquillage orangé, sur ma table de nuit.

Shit happens. Comme ce jour où un riche homme d'affaire est venu se choisir un enfant. Tout le monde rêvait secrètement de se faire adopter, et si c'était un homme riche, c'était encore mieux. Tout le monde fit des pieds et des mains pour essayer de l'impressionner, sauf moi, j'ai gardé les yeux baissés toute la journée en priant pour qu'on me laisse tranquille. Et pourtant, c'est moi qui l'ait interpellé, il a finit par me demander mon prénom, bien forcé, j'ai enfin croisé son regard. Je ne sais pas ce qu'il y a vu, mais il a décidé de m'adopter moi. En quelques minutes, je fus brutalement arraché à ma vie, pour la deuxième fois. Je laissais derrière ma famille, ma maison et surtout Ikuko. Pire que la dernière fois, je dû changer de pays, de langue, de culture. Tout était différent et nouveau. Je passais d'orphelin à héritier chaebol. Apprendre le coréen ne me posa pas de problème, j'avais déjà les bases, que ma mère avait sagement posées quelques années auparavant, cependant, mon accent japonais à couper au couteau ne trompait personne, je venais bel et bien du pays du soleil levant, et ce n'était pas le genre de chose que les coréens laissaient passer facilement. Je dus faire mes preuves avant d'être pleinement intégré. Je fus la risé de tous pendant un an, je fus la victime des petits bourges du lycée où j'étais forcé d'aller, je fus rejeté par tous. Et puis j'ai finalement compris, il fallait que je devienne quelqu'un d'autre pour m'intégrer ici. Entre les regards réprobateurs de mon père, les railleries de mes camarades et la désolation sur le visage de mes professeurs, je ne pouvais pas continuer en temps que Tanaka Min Ho, je devais devenir pleinement Anh Min Ho. Alors je m'endurcis, je ne me laissais plus faire, j'étais l'héritier d'un empire, et un jour, je les écraserais tous.

Si l'idée de revoir mon frère et ma soeur et de retrouver Ikuko était restée dans mon esprit au début, plus le temps passait et plus je les oubliais. La vérité c'est que mon nouveau personnage ne pouvait pas exister si ma famille existait aussi, j'étais devenu froid, méprisant, ambitieux, je voulais tout rafler, je voulais que mon père soit fier de moi et que mes camarades de classe regrettent leurs erreurs. Je voulais réussir dans tous les domaines, devenir parfait. Je voulais que le trou au milieu de ma poitrine soit comblé, j'arrivait pas à comprendre que je m'y prenais mal. Je raflais tous les prix possibles et imaginable. Je fus président de ma classe, mes notes excellaient, je gagnais des médailles en sport et je collectionnais les petites amies. Tout me souriais enfin, les amis se bousculaient à ma porte, j'avais de l'argent à revendre, j'avais tout. Et pourtant, le vide restait impossible à combler.
Mon père fit même de moi une idole pendant quelques années avant que je décide que je n'aimais pas ça. Cependant, la célébrité, une fois acquise, ne s'efface pas comme ça, et j'avais toujours l'impression de perdre mon temps lorsque des petites coréennes m'interrompais pour avoir un autographe ou en criant mon nom. J'avais gouté à tout ce qu'on faisait de meilleur, l'argent, la célébrité, les filles, la nourriture. J'avais voyagé, j'étais allé en Europe plusieurs fois et j'avais même étudié quelques mois en Angleterre. Et puis j'avais naturellement pris le chemin tout tracé pour moi par mon père, après mon diplôme, j'étais allé travailler avec lui. Jeunesse dorée, trop gâtée, trop dans l'excès, j'avais fini plusieurs fois à l'hôpital suite à des bagarres et des comas éthyliques, mais mon père avait toujours passé l'éponge, il savait qu'en dehors de mes frasques, je savais être sérieux. Il finit cependant par se mettre dans la tête de m'éloigner de mes amis, qu'il qualifiait de toxiques. Il ouvrit une succursale au Japon et m'envoya la diriger. Il me connaissait tellement bien qu'on aurait pu croire qu'il était vraiment mon père. Loin de mes amis et responsabilisé, je limitais mes conneries et passais deux belles années, seul, au Japon.
Aujourd'hui, je suis officiellement en couple avec trois filles différentes, que je vois à tour de rôle et que j'appelle toutes Pumpkin histoire de pas oublier leur prénom. Parce que l'anglais ça les fait craquer, et qu'une citrouille, c'est moche, ça vaut rien et c'est inutile.