宰
To slaughter, to rule.
MUSIQUE POUR PLEURER UN PEU
Les cris des enfants résonnent autour de moi et j'ouvre des yeux gros comme des soucoupes. Je ne peux pas me lever, je reste là, j'y passe une heure, puis deux, à regarder des enfants jouer, dans un parc. Scène banale qu'aucun tokyoïte ne remarque, la seule chose qu'il remarque c'est cet étrange adulte au visage poupin qui regarde les enfants. Quel drôle de regard, qu'ils se disent, encore un pervers, ils le méprise ce garçon à peine sorti de l'adolescence, ils le haïssent, ils le jugent sans le connaître. Ce garçon c'est moi, et si je suis resté bloqué devant cette scène, c'est parce que je n'ai jamais vu d'enfants aussi bruyants, aussi heureux et aussi épanouis de ma vie. Je me souviens d'une journée ordinaire dans mon pays, une des seules fois où j'ai entendu un enfant crier. C'était Eun Byul, ma meilleure et ma seule amie. Elle et moi on passait des heures à se regarder et à se sourire. On ne se parlait jamais vraiment mais les rares fois où on s'adressait la parole, j'avais le coeur qui se déchirait de joie. J'avais sept ans et je n'avais encore jamais assisté à une scène de violence. Mes parents étaient des gens normaux, le genre qui ne veut surtout pas faire de vagues, le genre de personnes qui parlent toujours très doucement et qui adressent des sourires forcés à tout le monde, tout le temps. Alors ce n'était pas chez moi qu'on aurait levé la main sur qui que ce soit. Son cri avait soudainement déchiré l'air et je m'étais rué à la fenêtre sans réfléchir. J'avais vu des hommes emmener sa mère sans ménagement et j'avais vu l'un deux, arrêté au milieu de la route. Eun Byul avait saisi le revers de sa veste et je savais que quelque chose allait se passer, je savais que c'était mal, qu'elle n'aurait pas du faire ça. Lorsque l'homme tourna son visage vers mon amie, je ne pu discerner que l'absence d'émotion qui se dégageait de ses traits fins. Et puis il leva la main, une fois. Le coup fut si violent qu'il projeta mon amie face contre terre. Je pus voir la tâche vermeil se former sur le goudron avant que ma soeur ne plaque ses deux mains sur ma figure. L'une me cachant les yeux, l'autre la bouche. Horrifié, je fermais les yeux avec une force inouïe pour essayer d'effacer ce que je venais de voir et mordit la main de ma soeur si fort qu'elle en gémit doucement. Elle tira mon corps d'enfant en arrière et me serra contre elle, me murmurant quelques mots à l'oreille.
Tu te tais. Tu ne dis rien, jamais. N'oublie pas mais n'en parle pas. Alors je l'ai écoutée, ma grande soeur, celle qui a toujours veillé sur moi du plus loin que je me souvienne, j'ai toujours été son point faible, je me souviens de ses rares sourires qui m'étaient toujours adressés, je me souviens de ses fossettes que je trouvais adorables. Je la trouvais belle ma soeur, elle aurait pu avoir le monde à ses pieds si on été né dans un autre univers, comme celui qui se trouvait au-delà de nos frontières.
J'ai fait profil bas pendant des années, vivant ma petite vie grise et monotone, sans esquisser un faux pas, sans dire un mot plus haut que l'autre. Tout été calculé, chaque parole, chaque geste, chaque regard, tout devait être au mieux. J'avais réussit sans bien savoir comment à me formater de la même façon que notre gouvernement nous formatait. On nous apprenait à détester le monde entier, on nous apprenait la puissance du président du parti, on nous apprenait le respect envers les nôtres et on nous racontait les horreurs que faisaient les autres. On nous montrait comment on devait tuer les américains et les sud-coréens si on les voyait un jour. On savait tous qu'on n'en verrait jamais mais pourtant, il fallait savoir quand même, au cas où.
Je n'ai jamais fait partie des enfants turbulents, au contraire, j'ai toujours été sage et très réservé, du genre à éviter d'attirer l'attention parce que je ne me souvenais que trop bien de ce que l'attention nous apportait : la mort. Et puis, quand j'ai eu douze ans, on a déménagé, on est allés s'enfoncer dans la campagne, mon père est resté en ville pour travailler et ma mère est rentrée chez ses parents avec ma soeur et moi. Ma mère voulait me protéger de la violence d'une vie d'adulte en ville, c'est ma soeur qui me l'a dit. Je crois qu'ils ont réussit. Mais la vie à la campagne était plus difficile que ce qu'on aurait cru. J'ai enfin connu la faim, ma famille avait réussit à m'en préserver jusque là en me donnant de leur propre nourriture, je ne m'étais jamais rendu compte que je mangeais plus que mon père, je n'y avais jamais fait attention et ce n'est que bien plus tard, en y repensant, que ça m'a frappé. Il n'y avait rien à la campagne, rien d'enviable en tous cas, les gens étaient impolis et irrespectueux, la nourriture manquait tellement qu'on se retrouvait à mâcher des bouts de vêtements juste pour avoir quelque chose dans la bouche, il n'y avait pas d'animation ou de choses à faire. La seule chose que j'aimais, c'était voir les rayons du soleil sur les feuilles des arbres et l'herbe verte.
Puis l'école a commencé et je me suis rendu compte que j'étais en territoire hostile. Je devins rapidement le petit souffre-douleur de la classe, la bête noire, l'inconnu, l'intrus. Il n'y avait que des garçons dans ma classe et je fus d'abord quotidiennement insulté puis humilié. Je n'y accordais pas beaucoup d'importance au début, je me fichais complètement de l'avis des autres, de ce qu'ils pensaient. Mais plus je les ignorais et plus ça les énervait et ça finit par aller trop loin. Un des garçon osa porte la main sur moi, ce jour là, bien qu'étant pacifiste, je lui en collait une tellement fort qu'il en tomba à la renverse. J'étais jeune, stupide et je croyais bien faire. J'ai gagné le respect de mes camarades, ils ont tous arrêté de m'embêter et je suis plus ou moins devenu populaire sans avoir rien à faire de plus. Je ne comprenait pas bien le soudain engouement des gens à mon égard mais je restais fidèle à moi-même, bienveillant et timide. J'ai vite regretté mon geste envers le garçon en voyant qu'il était devenu la victime des autres à ma place. Je n'ai pas compris tout de suite ce que je devais faire et j'ai laissé plusieurs années passer comme ça. Ma vie était simple, monotone, rien ne changeait jamais. Tout était prévu, orchestré, rien n'était laissé au hasard et c'est la seule façon de vivre que j'avais jamais connue.
敏
Fast, Quick, Clever, Smart.
CE MEC A UNE FORCE DE CARACTÈRE...
Et puis tout a fini par changer. J'aurais pu rester dans cette petite bulle, où je regardais les filles danser les soirs de bal sans oser leur demander une danse, où je discutais avec ma soeur jusqu'à des heures avancées de la nuit de l'autre côté du monde, l'autre côté des frontières. Les gens disaient que le reste du monde était libre de faire ce qu'il voulait quand il voulait, même s'ils voulaient aller au cinéma en pleine nuit ou sécher l'école. Je trouvais ça complètement insensé et n'arrêtais pas de rire en entendant les histoires de ma soeur. Elle me disait que les hommes là-bas pouvait aller en vacances sur la lune s'ils le voulaient tant ils étaient riches et qu'ils avaient tellement à manger que leurs ventres éclataient parfois et qu'il fallait tout recoudre.
J'ai fini par avoir mon diplôme. Je n'avais jamais été pressé de l'avoir, avoir son diplôme voulait dire entamer ses dix années de service militaire et j'appréhendais d'être séparé de ma famille aussi longtemps. J'en avais parlé à ma mère un soir et elle m'avait regardé avec ce drôle de regard dont j'étais sûr qu'il voulait dire "reprends toi, mon fils, tu es fort."
Et puis, le soir de la remise des diplômes, je trouvais ma mère derrière la porte, à m'attendre, habillée comme si on partait en balade. Je ne compris pas tout de suite ce qu'il se passait et lui sourit naïvement. Nous avons pris la route avec ma soeur, pour rejoindre mon père en ville, qu'elles disaient. Mais on n'est pas allés en ville, on l'a retrouvé en pleine campagne. Le pauvre homme était trempé, j'avais du mal à réaliser ce que je faisais, ce que je vivais. Je ne pouvais que rester là, aussi silencieux qu'à l'accoutumée à les regarder s'affairer, se disputer à voix basse, être anxieux. Personne ne prit la peine de me dire ce qu'on faisait avant qu'on arrive à destination. La rivière Han. La barrière, un simple trou dans la clôture. Il faut croire qu'ils préparaient leur coup depuis un moment. Plus personne ne parla pendant un moment, on était tous concentrés sur l'eau glacée nous enserrant la poitrine et sur les morceaux de bois arrondis censé nous cacher aux yeux des soldats, qui cherchaient toujours des espions des deux côtés de la frontière. Etrangement, la nuit noire parut nous cacher efficacement au début, mais lorsqu'il fallut traverser la rivière tout se compliqua. La peur de mourir noyé me broya l'organe vital et ma soeur et moi nous sommes débattus un moment avant de regarder à l'extérieur en réalisant qu'on y arriverait pas. On ne traverserait pas comme ça. La deuxième chose que ça nous a permit de réaliser, c'est qu'on avait perdu nos parents. Pas de deuxième morceau de bois à proximité, aucune trace d'eux. La panique nous tomba dessus comme une brique dans l'océan. Nous étions seuls, au milieu de la rivière Han, sans possibilité de faire demi-tour. Ma soeur se mit à pleurer nerveusement et je décidais de traverser en nous tenant au bout de bois de l'extérieur plutôt que de se cacher dessous. De toutes façons, on avait pas le choix. La traversée se révéla bien plus compliqué que ce que j'avais prévu. Et on finit par arriver quelque part en Corée du nord sur les coups de cinq heures du matin. Les premières lueurs de l'aube se firent voir lorsqu'on posa le pied sur la rive malheureusement. Les coups de feu se mirent à pleuvoir sur nous et ma soeur se retourna vers moi, son corps criblé de balle, le visage tordu dans une grimace effrayé. Je tendis la main vers elle mais ne pus que la voir tomber mollement dans la boue. Elle était morte avant d'avoir touché le sol. Et puis je m'en pris une puis deux, je tombais en arrière et n'eu que le temps de sentir la morsure de l'eau glacée avant de perdre connaissance. La première chose dont je me souviens est le contact rugueux du bois contre ma joue et le gout amer de l'eau mélangé au sang dans ma bouche. Et puis la chaleur d'une main sur la joue. Et puis le plafond d'une maison mal éclairée. Le goût de la soupe contre ma langue. L'odeur de l'encens, la fraîcheur d'un linge, l'odeur de lessive fraîche. Et puis les rayons du soleil sur ma peau, les voix de mes hôtes, le sentiment d'être seul au monde.
J'eu l'impression de renaître. Comme si j'étais un nouveau né à nouveau, je devais tout réapprendre, les prénom des gens, comment parler normalement, la valeur du travail, la valeur d'un sourire, la beauté du monde, la technologie. Je ne restais pas longtemps chez les gens qui m'avaient recueilli. Je me sentais mal de leur devoir tant. Une vie, c'est pas rien.
Je leur promis de les repayer lorsque je le pourrais et quittais leur village. Je passais quelques semaines à errer en Corée du Sud, découvrant le monde en homme libre avant que la chance ne me sourit, je me fis un ami qui m'hébergea à Séoul et m'aida à trouver du travail et à m'adapter. Je ne su jamais trop pourquoi il m'avait parlé en premier lieu, alors que j'étais assis sur un muret, la bouche ouverte d'émerveillement, des larmes roulant sur mes joues, devant un cybercafé mais je lui en fus reconnaissant. Mon seul objectif devint de partir, de fuir le plus loin possible de mon pays, et la Corée du Sud était évidemment trop proche. Je passais clandestinement la frontière japonaise la veille de l'anniversaire de ma soeur et pu boire un verre de saké pour elle. Après quelques mois de galère, je finis par me trouver tant bien que mal un travail dont personne ne voulait dans lequel je me révélais excellent. J'apprends le japonais aussi vite que possible mais communiquer reste extrêmement compliqué pour moi. De toutes façons, ce n'est pas comme si j'avais envie de me lier à d'autres gens. J'aurais trop peur qu'ils finissent par mourir aussi.